Lettre à Youssef

Comment revenir sur une vie en quelques minutes, j'ai trop d'souvenirs en tête

À chaque veillée, j'me dis « demain j'arrête », mais qu'est-ce que mes gosses vont avoir dans l'assiette ?

J'ai commencé ce bail, j'avais treize piges, on l'a fait pour la rime, pas pour le prestige

Fuck le collège, fuck l'instit', j'crois qu'au départ on était quinze types

Dans la rue ça bouillonne, on n'a pas grand chose, alors on traîne tard comme des fantômes

Quinze, seize, dix-sept, les grandes doses, les premières copines, le téléphone rose

À vingt ans, les reufrés partent en prison, y a plein d'trucs que nous ne maîtrisons pas

Khey on va pas s'mentir, on n'était pas solidaire, ne nous méprisons pas

Chacun a repris son paquetage, j'ai choisi mon chemin, moi, c'est la musique que j'aime

C'est normal khey, c'est tout c'que j'ai, et la rage, ouais, c'est tout c'que j'jette

Mais y a trop d'rappeurs et personne me calcule, alors j'décide de mettre l'autotune

2009, studios Coppelia

Et c'est ma go qui paie le studio, moi, j'ai pas un, j'suis juste un idiot

Personne me connaît dans l'immédiat, y a pas d'radio, d'concerts ou de médias

Mais j'ai un MySpace, et j'casse les couilles aux DJ pour qu'ils passent le son

Vas-y frérot, passe le son s'te plaît

Y en a qui refusent mais les plus braves le font

Et on m'dit : « Ça tue », y en a qui aiment l'écriture, moi, j'aime les ratures

Et vu que ça marche et que ça tue, y en a plein d'autres qui branchent l'autotune

Showcase à Marrakech, j'suis au Theatro, j'avais plein d'amis, on rentrait à trop

Infidèle de merde, j'les rendais accros

Et là les femmes viennent, c'est indécent, que des décolletés renversants

Polygame, oui, c'est indécent, c'est difficile, oui, de redescendre

L'alcool, la drogue et les soirées tardives, c'est c'qui plus tard va m'niquer ma ie-v

Mais on s'en tape là, vu qu'on est ivre

Et là c'est l'ascension

J'fais plus attention

J'veux juste tout casser

Le passé, c'est le passé

La misère, y en a assez

C'est le troisième album et j'enchaîne les hits, y a des amis qui reviennent et d'autres qui me quittent

On a du succès, on a du mérite, j'appelle le DJ, j'dis : « Augmente les prix »

Et là l'oseille rentre, je fais toute la France, insouciant, j'connais pas ma chance

J'appelle personne, les bookers m'appellent, c'est pas du taf, ouais, c'est des vacances

J'passe à la télé, c'est un truc de fêlé, j'suis avec mes potes et loin d'la famille

J'ai le cœur scellé, tellement scellé que j'm'éloigne du tapis

Y a que d'l'égo, de l'orgueil, du nefs, on m'écoute au bled et on m'écoute au hebs

Et là bientôt j'fais le tour d'l'Europe, et là Icare se rapproche du shams

Et un soir de Planète Rap, les démons m'rattrapent

Mon reflet dans la flaque, l'cerveau prend une frappe

On m'a pas trahi moi, j'me suis trahi, moi

J'm'en veux tellement, croyez-moi

Et le temps passe et là tout va bien, actuellement j'suis au bled

Aucune douleur ne se manifeste, j'm'en tape du succès, j'm'en tape de l'échec

J'ai changé de vie, mais l'patron est parti

J'ai des enfants, je suis béni, toujours avec hbiba dyali

Tous ceux que j'ai déçu, pardonnez, aujourd'hui, j'm'en veux tellement

Ya ou baki l'kelma

Ya ou semheli a yemma, rani kharj men delma